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Peter Watkins : cinéaste et critique des médias

Le site web de Peter Watkins (125 pages environ : www.peterwatkins.lt) contient des présentations de ses films réalisés depuis le début des années soixante et des extraits tirés de ses écrits sur la crise dans les mass-médias de l'audiovisuel (MMA).
Ce résumé décrit la crise dans les MMA telle qu'analysée par Peter Watkins, et le film La Commune, ainsi que l'association Rebond pour La Commune, formée par certains de ses acteurs et techniciens.

La crise dans les MMA
La crise affectant la relation entre les MMA et le public a atteint des proportions extrêmes. La forme de langage autoritaire, manipulatrice, arrogante et opaque de la télévision aux mains de décideurs avides de pouvoir n'est toujours pas débattue dans notre société. Cette situation, qui bloque l'interaction humaine et l'engagement collectif, est acceptée sans réserves par la société de consommation et le système éducatif. Les industries du cinéma -- sans que cela ne suscite le moindre débat public -- investissent dans des films violents et simplistes qui favorisent l'hégémonie grandissante de la sous-culture populaire américaine, au lieu de travailler pour l'amélioration des systèmes d'éducation, de santé et de couverture sociale. Il en va de même pour la production des émissions de télévision : non seulement il n'existe aucun dialogue avec les téléspectateurs, mais la sous-culture populaire audiovisuelle ne constitue même pas une véritable source d'information, sans parler de communication interactive.

Peter Watkins a formulé le terme : la "monoforme". Il l'utilise pour décrire les modes de langage et structures narratives principales du cinéma et de la télévision, leur standardisation, et leur manière fragmentée de délivrer des message sous de fausses apparences lisses et fluides. Les nombreuses manifestations de la monoforme –dans les sitcoms, les policiers, les films d'Hollywood, les talk-shows ou sur MTV– sont basées sur une méthode universelle de structurer le temps et l'espace dans le processus du montage. Celle-ci peut être représentée comme suit : |-|-| -- -|-| -- -|-|-|-|-| -- | (où les lignes verticales représentent une coupure et celles horizontales une assez petite unité de temps). Les coupures (à peu près toutes les trois secondes) maintiennent le suspense, et empêchent l'installation d'espaces de réflexion ! Cette standardisation répétée contribue à brouiller les frontières entre la publicité et les informations, entre la violence réelle et sa mise en scène, etc. Les mass-médias présument que le public a besoin de formes de représentation prévisibles afin d'être " impliqué " (c.-à.-d. manipulé). Malgré l'influence décisive qu'a la monoforme sur notre capacité à absorber l'information, cette structure dominante n«.est ni débattue, ni remise en cause, que ce soit par les professionnels ou le public.

Il est vital qu'émergent de nouvelles formes d'enseignement critique des médias, qui doivent inclure un travail de conscientisation sur cette crise, l'enseignement de nouvelles techniques de " décodage " des formes de langage manipulatrices, l'encouragement à la création d'un débat public, et la création de formes nouvelles pouvant opposer l'hégémonie sans cesse croissante des mass-médias. à l'heure actuelle, il n'existe pas de forme de production créative au sein des MMA qui confronte véritablement ses propres techniques répressives, son conformisme et son accumulation monopolisante de pouvoir. Bien qu'il existe d'infinies possibilités de processus médiatiques alternatifs, nous assistons actuellement à l'effondrement complet de la télévision comme média potentiellement démocratique, et au refus exprimé par les systèmes politiques et la majorité des professionnels des médias à l'encontre de toutes les tentatives en faveur de mesures sociales, économiques ou créatives nouvelles. Watkins est convaincu que nous serions dans un monde plus humain et plus juste aujourd'hui si, dans les années soixante et soixante-dix, la télévision (en ouvrant ses structures de pouvoir) avait collaboré et été à l'écoute des différentes catégories sociales composant l'opinions publique, et s'il avait adopté des formes d«expressions plus ouvertes et plus complexes.

L'enseignement des médias d'aujourd'hui –appelés également "sciences de la communication et des médias"– est devenu un commerce énorme, avec des écoles de cinéma dotées du nec plus ultra de la technologie préparant les étudiants à travailler au sein de la machine industrielle d'Hollywood et pour ses clones européens et asiatiques. Il fût un temps où, l'enseignement des médias incluait la notion d'analyse critique. Par exemple, l'analyse d'orientation marxiste des années soixante soulignait la puissance des liens entre les intérêts économiques et les médias. Mais dans les années soixante-dix, les MMA et les programmes conventionnels d'études de la communication (PCEC) sont devenus de plus en plus fermés, au point que depuis les années quatre-vingt, ils "règnent", loin de toutes mesures de contrôle, et, ce qui est encore pire, sans aucun débat public. Le postmodernisme est devenu une sorte de culte obligatoire : il faut'être branché, cool et techniquement équipé, bref, être "in". Presque tous les PCEC aujourd'hui refusent de présenter des formes critiques alternatives dans le cadre institutionnel, et inculquent à leur place la monoforme.

L'accès à une pédagogie critique, à des formes alternatives et plus démocratiques d'enseignement des médias devrait être garanti comme l'un des droits de l'Homme ! La prise de conscience est une première étape, mais la mise en pratique de revendications fondamentales exige qu'elles soient rendues constitutionnelles –c'est-à-dire, des droits de l'Homme protégés par la loi.

Un problème majeur est l'acceptation générale –par un nombre croissant de personnes– du processus social et politique inspiré par la sous-culture populaire américaine. La propagation de la société de consommation est orchestrée par la double actions des mass-médias et du système éducatif et soutenue par la logique absolutiste de l'économie de marché. La très habile propagande orchestrée par les MMA au service de la société de consommation a développé une fausse perception de nos propres besoins. Le résultat est un cercle vicieux de dépendance et de manipulation qui ne fait que renforcer l«assise de ce système hiérarchique. Un cycle sans fin transmet cette idéologie à la génération suivante de professionnels (y compris les enseignants), et –au delà– au public. Le mépris du public est devenu l'idéologie officielle. La relation immuable entre les MMA et le public a clairement été établie comme un flux à sens unique de ceux-là vers celui-ci, un processus hiérarchique qui ne permets aucune véritable interaction. Watkins demande clairement plus de choix pour le téléspectateur –un choix de forme, de langage, de thèmes, de style, d'idéologie. C'est, bien sûr, tout le contraire qui se produit. Watkins parle de la théorie du "gardien du temple" par lequel tout matériau médiatique est filtré avant d«être présenté comme de l'"information". Cette forme de manipulation est défendue par l'ensemble des médias (et les systèmes éducatifs) sous couvert d'"objectivité".

L'industrie du divertissement reflète la crise morale et éthique de la société contemporaine. Totalement indifférente, par exemple, à la souffrance humaine et à la brutalité dépeinte à l'écran, l'Académie des Arts et Sciences du cinéma récompensera Braveheart de Mel Gibson par cinq Oscars –pour des images cyniques dépeignant des centaines de personnes se faisant découper en morceaux. Sans aller jusqu'à établir un quelconque lien direct entre la violence médiatique et les horreurs du génocide, nous devons néanmoins considérer que ce que nous voyons dans les MMA est l'administration organisée de la violence, ce que –dans le contexte de l'Holocauste– Hannah Arendt décrivait comme "la banalisation du mal". De plus en plus convaincus que le cinéma et la télévision sont du "pur divertissement", les mass-médias feignent d«ignorer leur responsabilité directe dans la banalisation de la violence dans nos vies quotidiennes, tandis que le système éducatif ne permet pas aux jeunes d«en prendre conscience. A l'ère de la culture populaire du divertissement qui prévaut dans notre société de communication et d'information, les universitaires des médias cherchent encore à transmettre l'ancien mythe d'une télévision d'information et d'éducation. En réalité, le rôle de la sous-culture populaire est de livrer un public et des clients aux experts du marketing et aux corporations multinationales.

La Commune de Paris
(produit par 13 Production, La Sept-Arte et le Musée d'Orsay, 1999, 345 minutes)
Début 1871 : la population de Paris se remet à peine du siège des prussiens et des séquelles de la terrible guerre franco-prussienne. De plus, les monarchistes dirigent l'Assemblée Nationale. C'est dans ce climat, que naissent et se développent des groupes socialistes et révolutionnaires. De cette situation sociale tragique émerge, le 18 mars 1871, un gouvernement révolutionnaire –qui sera bientôt écrasé dans le sang le 25 mai 1871 par les troupes de l'Assemblée Nationale réfugiée à Versailles après d'ultimes batailles de rue. La révolte communarde avait cherché à transformer l'état français centralisé en une fédération de socialistes communautés souveraines.

Pourquoi ce film aujourd'hui ? La montée du cynisme postmoderniste (par laquelle la pensée humaniste ainsi que la critique du système éducation sont éliminées), les catastrophe humaine, économique et écologique qu'on nomme mondialisation, l'exploitation accrue des peuples du soi-disant "tiers-monde", le conformisme résultant du processus d'audiovisualisation systématique –tout ceci a contribué au rejet de l'éthique, de la morale et de l'engagement collectif déclassés au rang de valeurs "démodées". Dans une telle société, la lutte de 1871 peut être perçue comme un effort pour construire un monde meilleur, le désir d'une utopie collective –aussi réel et nécessaire aujourd'hui qu'il l'était à l'époque.

Significativement, ce chapitre de l'histoire demeure complètement obscurci et marginalisé par le système éducatif français, alors même qu'il marque un chapitre clé du mouvement ouvrier européen (ou plus probablement à cause de celà !)

Aprés seize mois de recherches, La Commune fut filmé en séquences respectant l'ordre chronologique, à Montreuil dans la banlieue de Paris, dans un bâtiment construit sur le terrain où Georges-Méliès (1881-1939), un des pionniers du cinéma, avait son studio. Des 220 participants acteurs, beaucoup n'avaient aucune expérience préalable de la scène. Peter Watkins, qui expérimente des formes alternatives de création et une manière moins hiérarchique de communiquer avec le public, tente de remettre en question la monoforme à travers La Commune. Le film lui-même se penche sur deux questions importantes (qui dans leur forme négative sont des problèmes clés au sein des MMA) : celui du processus et de la forme narrative. Le processus se manifeste par la participation des acteurs dans la préparation et la réalisation du film lui-même, ainsi que dans la poursuite de cette même dynamique de recherche et d'engagement socio-politique après le tournage. La forme est marquée par le tournage de longs plans-séquence, et par la durée du film (345 minutes) –dimension qui s'est développée au cours du montage. Le processus et la forme ne sauraient ici être séparés. La forme permet au processus d'opérer ; sans le processus, la forme serait dénuée de sens. Watkins soutient que les méthodes de travail sur le processus et la forme dans La Commune représentent une des manières dont la télévision aurait pu développer une interaction avec le public (et à laquelle elle a fermement résisté).

Les acteurs entreprirent leur propre recherche historique sur les évènements de 1871, laquelle contribua à son tour à une analyse du système contemporain –avec son manque marqué de participation citoyenne. Ils se réunissaient dans des groupes formés en fonction de leurs rôles (L'Union des Femmes, la bourgeoisie, les soldats de la Garde Nationale, les membres élus de La Commune, etc.) pour discuter du contexte et des motivations de leurs personnages, et pour réfléchir sur les liens entre les évènements de 1871 et la société contemporaine. Un aspect important du processus permettait aux acteurs de contribuer à ce travail en y incorporant leur propre histoire et opinions politiques. Watkins transposa une institution audiovisuelle moderne dans le dix-neuvième siècle, liant ainsi le film à sa critique de la monoforme : la télévision populiste de la Télévision Communale d'un côté, la Télévision réactionnaire de Versailles de l'autre. Ce dispositif fut imaginé afin de montrer les procédés manipulateurs de la télévision, la fragmentation des émissions d'information, et le processus par lequel l'information est relayé au public –soigneusement filtrée, et tributaire des intérêts et orientations politiques. De la même façon que les médias actuels exercent une forte influence sur le développement de la mondialisation et de la société de consommation, en 1871, la presse joua un rôle clé dans la formation d'un régime conservateur en France, et dans la justification de la suppression de la révolution.

L'indépendance et la liberté de parole, l'échange d'opinions et l'interaction entre les acteurs du film et les spectateurs, participant ainsi au processus, sont les caractéristiques-clés de ce film, et sont souvent discutées par ceux qui le voient. Rebond pour la Commune –un groupe de participants (qui semble être un meilleur terme qu'"acteurs")– entreprend de continuer ce processus. En mars 2000, Rebond organisa un week-end de discussions avec le public autour de questions qui furent soulevées à travers le film : sur les médias, la révolution aujourd'hui, le pouvoir, le rôle des femmes, etc. Ce processus –issu du film– démontra qu'il est possible de créer des formes alternatives au sein du système audiovisuel dépassant celles habituellement ingurgitées devant le petit écran.

L'association Rebond pour La Commune fut fondée sur la base d'un film créé comme un "métier-à-tisser du lien social", parmi les citoyens de chaque classe sociale, entre les opinions et les institutions, et entre une oeuvre créatrice et son public. Nous, les participants, avons accompagné ce film à différents festivals en France, et nous entreprenons des initiatives pour que le film soit vu, le tout dans une dynamique qui prolonge le processus développé au cours du tournage. Nous essayons de communiquer nos expériences et de les partager avec le public –de contribuer à l'émergence d'engagements solidaires et aux indispensables échanges sur le plan des perspectives politiques.

Mais ce qui est loin d'être satisfaisant à l'heure actuelle, c'est le peu de débat public suscité par La Commune en France –voire la méconnaissance de son existence même– causé principalement par la marginalisation professionnelle. Initialement le projet fut soutenu par La Sept-Arte ; à présent cette chaîne de télévision soi-disant alternative a censuré le film! Dans un premier temps Arte demanda à Watkins d'en changer son contenu –pour le ramener plus en conformité avec les lois de la narration traditionnelle et de la monoforme, et pour "aider le public", comme il lui fut expliqué. Watkins refusa de dénaturer la forme et le processus du film. Arte diffusa finalement La Commune, mais à un heure où l'essentiel de la population française dormait –de 22h00 à 04h00 du matin– en déclarant que le film était un "échec artistique" et donc inadapté à un public plus large.

En outre, la presse française demeura silencieuse –comme si la marginalisation d'un film à propos d'un des plus significatifs chapitres de l'histoire française n'avait pas eu lieu. Les relations étroites entre journalistes, politiciens et professionnels des médias deviennent évidentes lorsqu'on découvre qu'un journal radical fort connu en France s'abstint de publier un article critique de l'un de ses propres journalistes de peur que les liens privilégiés entretenus avec cette chaîne ne s'en trouvent affectés.

La Commune sera diffusé sur la chaîne Histoire en France, au cours du mois d'avril 2001. Mais en dehors de cette exception le film reste marginalisé en France, et a été également rejeté par la plupart des chaînes de TV du monde entier, telles que le BBC, etc. Peter Watkins souligne la nouveauté par rapport à l'interdiction par la BBC il y a trente ans de son film antinucléaire La Bombe. Cette interdiction avait entraîné un énorme scandale en Angleterre et un important débat public. Aujourd'hui, l'interdiction et la marginalisation de productions médiatiques alternatives est devenu "normale", et le public reste silencieux. De même que le système éducatif. Il n'y a désormais plus aucun débat, et ce fait menace le cÏur même de la démocratie. Nous nous trouvons au bord du gouffre d'un fascisme médiatique total. Au lieu de signifier l'humanité vivant ensemble, la mondialisation représente une idéologie politique qui divise et exploite et qui est maintenant en passe de détruire la planète. Nous devons réagir et comprendre le rôle des mass media dans ce cauchemar, avant qu'il ne soit trop tard.

Peter Watkins termine avec cette question, "Quel prix le public doit-il payer pour bénéficier d'un système de communication qui transmette sa véritable parole et qui permette de débattre de sujets réels et non pas des questions pièges et des débats stériles contrôlés et mis en scène par les médias ? La Commune propose un mode de fonctionnement médiatique original, et souligne l'urgence de revitaliser un processus civique permettant l'émergence d'un véritable débat, public, critique et permanent.

Les personnes intéressées qui souhaitent voir et/ou diffuser La Commune'(disponible en anglais et français), peuvent contacter:

 


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Dossier Watkins

"Aujourd'hui, un réalisateur qui refuse de se soumettre à l'idéologie de la culture de masse, fondée sur le mépris du public, et ne veut pas adapter un montage frénétique fait de structures narratives simplistes,de violence, de bruit, d'actions incessantes, bref, qui refuse la forme unique, ou ce que j'appelle la "monoforme", ce réalisateur ne peut tourner dans des conditions décentes. C'est impossible." (...) "La culture de masse qui a été imposée, vulgaire, étroite et brutale, faite de simplisme et de voyeurisme, regorgeant de stéréotypes sexistes et chauvins, vouée au culte de l'argent, doit être tenue pour responsable de bon nombre de désastres." Peter Watkins.

De même qu'il n'y a pas de démocratie sans contre-pouvoir,
il n'y aura pas de démocratie audiovisuelle sans contre-pouvoir audiovisuel