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Christian Milovanoff

QUESTIONS D'IMAGES

Les voix ordinaires,
La Commune de Peter

engagés dans la garde nationale, des soldats et des officiers de l'armée versaillaise, Constance Fillon, la sage-femme, l'institutrice Françoise Boidard et sa collègue Marie, toutes les deux en chômage volontaire "pour ne pas être complices, disentelles, d'une éducation qu'elles détestent, un couple de bijoutiers endettés, des femmes de Montmartre, la femme d'un médecin, d'un professeur de rhétorique, Mme Talbot, et la patronne d'un atelier de couture, des religieuses, des simples soldats polonais, Agnès Noiret recherchant son mari parti au front, le chroniqueur politique François Foucart, consultant sur la chaîne de la Télévision nationale de Versailles, Cécile Thibaudier, 18 ans, grièvement blessée, et qui sera enterrée vivante au milieu d'un tas de cadavres  ... Tous et toutes, n'importe qui, des gens ordinaires. Car tels étaient les communards. A la question : "Où étaient leurs grands hommes ?", l'historien et le témoin de la Commune Prosper Olivier Lissagaray répondait en 1876 : "Il n'y en avait pas. C'est précisément la puissance de cette révolution d'avoir été faite par la moyenne et non par quelques cerveaux privilégiés (3)." C'étaient des anonymes sortant de l'oubli, luttant contre l'oubli. C'est aussi la puissance du film de Watkins d'avoir été fait par des gens ordinaires prenant la parole et la tenant pour eux-mêmes, pour humanité, pour exister. "Il est temps, dit une femme, que l'on soit pas représentées, mais que l'on soit." Le film n'est pas une reconstitution historique, une fresque de la Commune. Il s'apparente plutôt à une chronique. Les faits se présentent sous la forme de récits multiples, fragmentaires tout autant que contradictoires. Cette hétérogénéité de la parole constitue la mémoire même de la Commune. Ceci n'est pas sans rappeler la proposition que Michel Foucault fit le 22 février 1973 au journal Libération, quotidien alors en préparation. Il s'agissait d'établir la chronique de la mémoire ouvrière : "Il serait, écrivait-il, intéressant, autour du journal, de regrouper tous ces souvenirs, pour les raconter et surtout pour pouvoir s'en servir et définir à partir de là des instruments de luttes possibles." Il ajoutait encore: "On peut concevoir une sorte de feuilleton collectif. On dirait: voilà, actuellement, il y a un thème important; par exemple, les cadences ouvrières. On demande à un certain nombre d'ouvriers de raconter leurs souvenirs, leurs expériences, d'envoyer tout ce qu'ils peuvent savoir. On bâtit alors un feuilleton avec l'aide des ouvriers, des correspondants, avec l'aide de tous les gens qui envoient des renseignements (4) [...]" Un tel programme ne fut, on le sait, malheureusement pas retenu par la rédaction du journal. Non seulement la proposition de Foucault reposait sur un travail de mémoire à travers l'enregistrement et l'archivage, mais également elle mettait en avant le problème de sa transmission: d'où le journal, d'où la forme du feuilleton. Il s'agissait non seulement de (suite)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3. Prosper Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, François Maspéro éditions, Paris, 1970, p. 466.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4. Michel Foucault, "Pour une chronique de la mémoire ouvrière", in Dits et écrits, tome II, Gallimard, Paris, 1994, p. 399q oo. On pourrait ajouter ici, et à titre de références, le travail du collectif de la rédaction de la revue Les Révoltes logiques (publiée dans les années soixante-dix par les cahiers du Centre de recherches sur les idéologies de la révolte) ainsi que, depuis, les travaux d'Arlette Farge et de Jacques Rancière.

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Dossier Watkins
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