1. Le vrai
problème, ce sont les contenus, pas les technologies
de distribution de ces contenus : si
le numérique hertzien sert à nous fournir
(et à nous vendre) encore plus des mêmes chaînes
faites par les mêmes groupes publics et privés,
quel est son intérêt par rapport au câble
et au satellite, qui font déjà cela très
bien et sans limitation de capacité, alors que le
numérique hertzien va être limité à
30 chaînes ?
Par
conséquent, il faut donner la priorité sur
le numérique hertzien :
à des chaînes et à des services interactifs
gratuits d'intérêt
général, le payant restant
sur le câble et le satellite,
à des chaînes locales publics, privées
et associatives (Tiers Secteur Audiovisuel, avec notamment
de l'accès public),
à des chaînes indépendantes des
quelques grands groupes qui contrôlent aujourd'hui
tout le secteur audiovisuel (Vivendi, Bouygues, Suez-Lyonnaise,
CLT-UFA, Lagardère, Pathé-Chargeur, France
Télévision).
2.
Si le lancement du numérique hertzien a pour effet
de bloquer le développement des chaînes locales,
et de repousser à 10 ou 15 ans le moment où
ces chaînes pourront (peut-être) être
reçues par tous les foyers, la CPML est contre le
numérique hertzien, car la création
de chaînes locales notamment associatives et d'accès
public est une priorité sociale, culturelle et économique
absolue. C'est également une condition majeure de
l'exercice de la démocratie, de la liberté
d'expression et du pluralisme audiovisuels qui ne peut pas
souffrir un tel ajournement pour des motifs purement techniques.
Le mieux ne doit pas être en l'occurence l'ennemi
du bien.
3.
Les pouvoirs publics doivent faire appel à des contre-expertises
techniques réellement indépendantes, neutres
et impartiales. La question : "faut-il ou ne
faut-il pas transformer le réseau terrestre analogique
en réseau numérique ?" mérite d'être
posée. La réponse à cette question
peut aussi bien être "non, ça ne vaut pas le
coup à l'heure du satellite, du câble et de
l'Internet à haut débit sur le réseau
téléphonique (ADSL)". Les seules expertises
de l'Agence Nationale des Fréquences (Ministère
de l'Économie, des Finances et de l'Industrie), de
Jean-Pierre Cottet et Gérard Eymery (France Télévision)
et de TDF (France Télécom), ne peuvent pas
suffire à une analyse objective des tenants et des
aboutissants du passage de l'analogique hertzien au numérique
hertzien. Et même si le CSA embauche des transfuges
de TDF, comme il compte le faire, pour effectuer les études
techniques et économiques, cela ne sera pas suffisant.
Tous ces "experts" sont juges et parties. Les investissements
publics dans cette affaire vont être considérables,
pour un choix à hauts risques (l'échec total
ou partiel est possible, si le grand public ne suit pas
et préfère aller vers le câble et le
satellite) qui engage l'avenir de la société
de la communication et de l'information en France. Des expertises
complémentaires indépendantes sont nécessaires.
Un seul
exemple : pourquoi l'instance de régulation européenne
(la Conférence Européenne des Postes et Télécommunications,
CEPT, réunissant les administrations publiques de
43 pays européens) n'a pas décidée
d'installer le numérique hertzien sur une autre bande
de fréquence que la bande UHF utilisée aujourd'hui
par l'analogique hertzien, comme cela a été
fait pour la diffusion satellitaire ? On nous dit que c'est
pour éviter d'avoir à changer les antennes
rateaux de réception. Mais l'expérience anglaise
démontre qu'il faudra tout de même changer
50% au moins du parc d'antennes. Et le succès de
la réception satellitaire démontre que le
changement d'antenne pour accéder à la télévision
numérique n'est pas un obstacle à sa pénétration.
Le choix de rajouter le numérique hertzien à
la bande UHF, déjà bien chargée, mérite
d'être questionné, car il a un effet très
fâcheux : le gel de l'attribution des fréquences
aux télés locales analogiques dans un premier
temps, la raréfaction ensuite des fréquences
qui leur seraient attribuables dès maintenant en
analogique en raison de l'attribution prioritaire des fréquences
encore libres au numérique hertzien, puis le très
fort ralentissement de leur émergence et de leur
pénétration si elles sont cantonnées
au numérique hertzien (15 ans pour atteindre
100 %, au lieu d'une pénétration instantanée
de 100 % en analogique).
4.
Pour faciliter le lancement du numérique hertzien
sans géner l'essort des chaînes locales analogiques,
le Ministère de la Défense doit restituer
les canaux UHF 66, 67 et 68. Le rapport de l'Agence
Nationale des Fréquences ("Étude sur la planification
des fréquences en vue de l'introduction en France
de la télévision numérique de terre
- DVB-T" du 10 mars 1998) l'indique clairement : en obtenant
du Ministère de la Défense qu'il restitue
ces canaux (que la CNCL lui a concédée en
1989), l'organisation technique de la cohabitation sur la
bande UHF de l'analogique et du numérique hertzien
sera grandement simplifié et l'efficacité
du réseau numérique hertzien sera améliorée.
Il en va de même d'autres canaux UHF occupés
selon les régions par : la chaîne monégasque
Télé Monté Carlo dont Vivendi est l'opérateur,
certains radars d'aéroports anglais, des observatoires
de radio-astronomie nord-européens, l'armée
allemande, et même la chaîne cryptée
payante Canal+ de Vivendi, déjà largement
présente sur la bande hertzienne VHF, sur la câble
et sur le satellite.
La CPML
est donc fondée à exiger que ce projet, techniquement,
économiquement et stratégiquement discutable,
ne serve pas de prétexte à un verrouillage
politique du PAF au service des positions dominantes acquises,
ni à un ultime blocage de la démocratisation
de la communication audiovisuelle en France. Le Tiers Secteur
Audiovisuel et les chaînes locales en général
peuvent et doivent trouver leur place dès maintenant
sur les ondes hertziennes analogiques, ainsi que sur le
câble et sur le satellite.
À Paris,
Michel Fiszbin pour la CPML, le 28 septembre 1999.
|